L’espoir des autres
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Le professeur invité à l’école d’été de science politique de 2013 de l’Université de Montréal et moi partagions une expérience commune vécue au début de notre vingtaine qui nous marquerait au fer chaud. Nous étions respectivement tombés dans la marmite de la politique américaine alors que nous avions été témoins de l’ascension fulgurante et inespérée d’un jeune sénateur charismatique devenu candidat du Parti démocrate aux élections présidentielles. Pour John Parisella, qui deviendrait spécialiste de la présidence américaine, c’était Kennedy en 1960. Pour moi, qui ferais mon mémoire sur la période des droits civiques, c’était Obama en 2008.
La candidature et l’élection de Barack Obama avaient insufflé une confiance en l’avenir chez quiconque s’y était intéressé. Si un Afro-Américain avait pu obtenir l’emploi de l’homme le plus puissant sur la terre, qu’est-ce qui nous empêchait de battre notre temps lors du prochain demi-marathon, ou de se lancer en affaire? C’était particulièrement vrai pour moi. Mon existence semblait être rattachée à ce qui se passait au sud de la frontière. J’avais connu des difficultés importantes dans les mois précédents. J’avais l’impression que la lumière qui éclairait maintenant mon existence provenait de la même source que celle qui allait chasser la grisaille des années Bush. Chaque jour, j’étais enveloppé par ce conte de fée dont je lisais compulsivement les derniers développements dans les quotidiens, les mensuels, à la radio et à la télévision. Ce sentiment que la justice avait, en définitive, le dernier mot, et qu’un dénouement heureux ponctuait chaque épreuve, m’exaltait. Je débordais d’énergie, j’avais soif de défis, je me surpassais dans ce que j’entreprenais.
Trois mois se sont écoulés entre la date historique du 4 novembre 2008, jour de l’élection, et le 20 janvier 2009, jour de l’assermentation tout aussi historique du premier président noir des États-Unis. Il faisait gris à Washington et à Montréal. Tout avait changé en l’espace de quelques semaines. Je n’étais plus en élévation; j’étais dans le bureau d’un psychiatre. Ayoye. Mon avion avait perdu tout son carburant. Ma descente des cimes au béton avait été fracassante.
Pénétrer sur le terrain d’un hôpital psychiatrique était en soi une expérience traumatisante pour moi. J’avais en tête l’image d’un endroit glauque aux murs défraîchis habité par des patients dérangés et dangereux. Ce n’était pas le cas, bien entendu, mais les stéréotypes issus de l’imaginaire collectif cédaient difficilement la place à la réalité, celle d’une salle d’attente peuplée des mêmes magazines de cuisine datés que chez le dentiste. Ce que me disait l’homme que j’avais en face de moi altérait complètement le souvenir que je m’étais fait de l’été et de l’automne qui venaient de se terminer. Un nouveau mot : l’hypomanie. Un état ressenti par les gens atteints du trouble bipolaire de type II, la version soft du type I, littéralement impitoyable. Un état qui les fait se sentir excessivement confiants en eux, efficaces au travail, sociables et exaltés.
Venaient avec ce nouveau diagnostique des médicaments que j’allais prendre, à tous les jours, pour toujours. Un autre traumatisme. Qu’est-ce qu’on devient en prenant des médicaments? Une autre personne? Ça veut dire quoi devenir une autre personne? Mes goûts vont changer? Je vais devenir bizarre? À jamais? Je n’avais pas le choix de me soigner. Dans ma tête, ça voulait dire que je n’avais pas le choix de me lancer dans l’inconnu. La suite me prouverait qu’aucune de ces peurs ne se matérialiseraient. Je continuerais d’être le même, j’irais juste mieux.
Par Charles-Albert Morin